Paroles d'experts : Roger Godet répond à nos questions
Roger Godet est inspecteur général coordonnateur du Service Général de l'Inspection. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l'éveil historique.

Dans les faits, l’histoire semble le parent pauvre de l’école fondamentale : les enseignants y consacrent peu de temps et semblent plutôt mal à l’aise face à l’enseignement de cette discipline
. A votre avis, comment peut-on expliquer cette situation ?
L’histoire, LE parent pauvre de l’école primaire ou plutôt UN des parents pauvres ? Il semble en effet que l’histoire soit un des domaines (comme la géographie, les sciences, l’éveil musical,….) auxquels il soit consacré peu de temps dans l’horaire hebdomadaire. Personnellement et sans prétendre à l’exhaustivité, je vois deux explications à ce phénomène :

- Le souci des enseignants du primaire de travailler davantage des domaines comme la langue et les mathématiques considérés, à tort, comme étant les seuls domaines fondamentaux ;
- La limite au caractère généraliste des fonctions d’instituteur primaire ou maternel. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer dans les socles, pour plusieurs domaines dont l’histoire, ce qui est attendu en fin de 6ème primaire et ce qui est attendu en fin de 2ème secondaire. Les différences sont peu importantes et un régent doit s’attacher à la construction de ce qui est défini dans un seul domaine, un instituteur dans six (c’est-à-dire tous sauf l’éducation physique et les langues étrangères). L’histoire n’est donc pour un instituteur qu’UNE préoccupation disciplinaire parmi d’autres, pour son collègue du 1er degré secondaire chargé de ce cours (le plus souvent aussi de celui de géographie) c’est LA préoccupation disciplinaire.


L’histoire est étrangère aux enfants : elle ne fait pas vraiment partie de leur univers proche ; c’est une donnée culturelle à construire, le plus souvent abstraite. Comment justifier, à leurs yeux, la nécessité et l’intérêt d’apprendre le passé ?

Eveiller leur curiosité, les amener à se poser des questions, à s’interroger, à « vouloir savoir ». Le recours à des explications historiques pour répondre à certaines de ces questions les amènera à entrer en contact avec l’histoire, à donner du sens à celle-ci, aux démarches qu’elle met en œuvre, aux savoirs qu’elle construit.

Selon vous, quels sont les savoirs historiques minima que tout enfant devrait maîtriser en quittant l’école fondamentale ?

Au sortir de l’école primaire, l’élève devrait connaître les périodes conventionnelles (intitulés, de quand à quand, caractéristiques du type « au temps de…. », quelques repères chronologiques). Il devrait également connaître des aspects concrets du mode de vie dans nos régions pour chacune de ces périodes. (cf. ce qui est défini dans les Socles de Compétences).


Aborder l’histoire à l’école primaire, cela ne devrait-il pas se faire principalement par le biais de l’histoire locale, plus proche et plus accessible ?

L’environnement local peut souvent être la source de questionnements qui aident à mettre l’élève en recherche (éléments du paysage, toponymie, édifices, vestiges…). Deux remarques toutefois :

- Choisir des faits locaux qui pourront plus tard s’insérer dans des synthèses plus générales et qui ne resteront pas figés à un statut d’anecdotes ;

- Aujourd’hui, à l’ère de la communication large, le « local » n’est plus aussi restreint qu’il n’a pu l’être autrefois.

La ligne du temps (ou frise historique) semble l’outil incontournable pour enseigner l’histoire. Qu’en pensez-vous ?

A mon sens, la frise historique n’est pas un outil d’enseignement au sens strict du mot. C’est davantage un outil d’organisation des savoirs construits lors d’activités de recherche. C’est un outil indispensable qui permet de structurer ces savoirs en les organisant dans le temps.

Contrairement aux domaines de l’éveil scientifique ou géographique, où l’on a davantage matière à expérimenter avec les élèves, les leçons d’histoire se basent le plus souvent sur des lectures de textes. Finalement, les difficultés rencontrées par les élèves en histoire ne seraient-elles pas d’abord des difficultés en lecture ?

Il me semble qu’il faut distinguer à ce sujet la lecture de textes historiques et la lecture de textes informatifs sur la matière historique. Concernant ces derniers, s’ils ont leur place dans l’enseignement de l’histoire, il ne s’agirait pas de transformer les leçons d’histoire en leçon de lecture. Si la géographie s’apprend en « lisant » des paysages ou des images géographiques, si les sciences s’apprennent en menant des expériences, l’histoire, elle, s’apprend principalement en exploitant des documents historiques, des traces du passé et non pas en lisant des textes informatifs qui racontent l’histoire.

Autrement dit, oui pour la lecture de textes informatifs à l’école mais non au remplacement des leçons d’histoire (ou de sciences ou géographie) par des activités de lecture de textes traitant de l’histoire ( ou des sciences ou de la géographie).

Concernant les textes historiques proprement dits, ils sont souvent difficilement accessibles avant le 2ème degré de l’enseignement secondaire. Il conviendra dès lors de s’en tenir à des textes courts que l’on n’exploitera que partiellement. A l’école primaire, il semble plus judicieux d’exploiter principalement des documents iconographiques.


Que pensez-vous des manuels en histoire ? Sont-ils de bons outils ? A quelle(s) condition(s) ?

Il y a de bons manuels, il y en a aussi d’autres ! Je vois deux fonctions essentielles pour le manuel dans le cadre de l’enseignement de l’histoire :

- Comme la ligne du temps, aider à la structuration des apprentissages ;

- Provoquer des questionnements, mettre des sources à disposition quand ces questionnements ou ces sources ne sont pas disponibles localement.

Selon vous, peut-on dégager une progression logique dans l’enseignement de l’histoire à l’école fondamentale ? Si oui, cette progression doit-elle être chronologique (en abordant, par exemple, les périodes historiques les unes à la suite des autres dans l’ordre) ?

Au niveau des 5ème et 6ème primaires, je plaide pour une progression chronologique qui aide à construire un cadre temporel dynamique dans lequel les événements viennent s’intégrer et se mettre en relation les uns par rapport aux autres. Cette approche permet à la fois de mettre en relation des aspects synchroniques mais aussi diachroniques.

Il me semble qu’au long de l’enseignement obligatoire, l’élève devrait parcourir trois fois chronologiquement les périodes historiques : une première fois en 5ème et 6ème primaire, une deuxième fois au 1er degré du secondaire et enfin une troisième fois aux 2ème et 3ème degrés. A chaque « parcours », les éléments découverts lors des parcours précédents viendront s’intégrer dans des synthèses plus larges, plus denses, plus générales.


Beaucoup d’auteurs évoquent la dimension « citoyenne » de l’enseignement de l’histoire. Quels sont les savoirs historiques nécessaires au citoyen ?
Cette intention n’est-elle pas trop ambitieuse pour des enfants de l’école fondamentale ? Sont-ils suffisamment mûrs pour développer un esprit critique dans le domaine de l’histoire ?

L’enseignement de l’histoire est une condition sine qua non d’une éducation à la citoyenneté. A cet égard, l’école fondamentale et le premier degré du secondaire ont à mettre en place les fondements de cette éducation ce qui permettra aux deuxième et troisième degrés de construire des démarches plus proches encore de la critique dans le domaine de l’histoire.

Ceci étant dit, dès l’école maternelle et l’école primaire, cette dimension citoyenne de l’histoire est déjà présente notamment en….
amorçant la construction d’un cadre spatio-temporel dynamique au sein duquel le citoyen pourra situer des événements, condition sine qua non d’une attitude critique vis-à-vis de ces événements ;
mettant en place les premières démarches de la recherche historique et, ce faisant, en contribuant à la rendre compréhensible pour le futur citoyen ;
mettant en place des activités qui amènent à prendre en considération la relativité des points de vue (un même événement raconté par deux protagonistes différents).


Qu’est-ce qu’être un « bon professeur d’histoire » ? Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux enseignants maternels et primaires, que leur proposeriez-vous ?
Puisque je ne peux donner qu’un seul conseil, ce sera « Amenez vos élèves à se poser des questions, à s’interroger à propos de traces du passé dans leur environnement ». Si j’avais pu en donner un second, cela aurait été « Evitez le double piège de l’anecdotique et de l’encyclopédisme ».

Roger Godet,
Le 29/09/2009